Fin de parcours (délirium tremens)

— Là, là, la bête, là sous la porte

— Casse-toi le rat !

Il vient me tirer ma bouteille ce fumier. Quel con, j’ai du m’endormir, j’ai renversé mon litre et l’autre qui vient pour me piquer le peu qui reste, l’enfoiré.

— Tire-toi, ordure !

J’ai froid, j’ai chaud, il y a quelqu’un qui monte, j’entends du bruit dans l’escalier, ils sont au moins deux, ils arrivent. Ici aussi, dans le couloir, il y a quelqu’un derrière la porte, j’entends gratter, ils sont plusieurs, ils viennent me chercher. Je vais me reculer, ils pourront pas m’attraper. Merde,il y a quelque chose derrière moi, à côté aussi. J’arrive pas à bouger, je suis coincé, putain, j’ai ma jambe tordue sous moi et la tête tapée sur le mur. C’est comme si l’on m’avait cogné, ils ont du rentrer dans mes chiottes les salauds, j’étais pourtant bien planqué.

— Elle sort d’où celle-la ?

La bête, là sous la porte, elle n’était pas là tout à l’heure, ils l’ont glissée pour me faire peur. Elle est dressée, on le voit à ses yeux, elle communique avec eux, il faut pas que je bouge. Je vais pas la regarder, elle a pas l’air de bouger, elle va peut-être partir. J’ai du vide en dessous, il y a des trous, mes jambes ont du mal, faut pas lui montrer que j’ai peur.

Je peux pas regarder en l’air, j’ai mal au cou, ils doivent être aussi au-dessus à regarder du plafond. Je suis sûr qu’il y a des trous, je les sens, j’aurai dû me méfier avant.

Maintenant il y a du bruit dans le couloir et dans l’escalier, j’ai la tête qui colle sur le mur, mon dos, mon dos, il a du taper sur le rebord des WC, j’ai mal au bras, c’est lourd ma main, c’est dur les yeux, je pleure… Je vais tâter ma tête, je crois que je saigne.

Haaa… la bête est partie je vais essayer de bouger. Tous mes cheveux sont collés, il y a du sang et de l’eau dans mon cou, ça pue, mes doigts. Il faudrait que je me nettoie, au moins que je me sèche, prendre le papier cul. D’abord, me tourner, m’essuyer, puis me lever et essayer de sortir, il me faut à boire. Je vais jamais arriver à me lever, j’essaie encore une fois, si j’y arrive pas comme ça, je bois un coup et ca fera la rue Michel, après ça ira. Il reste encore un peu de jaja dans la bouteille, ça devrait suffire.

Je suis un vrai manche, j’ai rien d’autre à boire, j’avais laissé qu’une bouteille d’avance, quel con d’avoir renversé le pinard. Comment je fais maintenant ? Où alors dans la cuisine, hier j’ai bouffé du lard, je l’ai pas avalé à sec, je devais avoir une bouteille avec moi, j’arrive plus à me souvenir. Même si j’arrive à me lever, comment descendre chez l’épicier, j’ai peur et  je tremble trop, je vais jamais arriver à ouvrir la porte, c’est sûr. De toute façon, Ils sont derrière à m’attendre, ils vont m’embarquer, c’est la concierge qui a dû les appeler.

J’ai compris ! C’est ses escaliers, c’est à cause des taches que j’ai fais sur les marches. J’ai glissé, ça arrive, non ? La salope, elle me ferait embarquer pour ou deux bouteilles cassées, c’est vrai que les taches sont grosses et que le vin sa marque, mais même. Personne ne s’est plaint, on m’a rien dit. Remarque je sors plus et quand je sors, je me cache. Je fonce prendre mes litres et je remonte dare-dare. Bien qu’avec mes deux cabats, je peux pas aller vraiment vite, c’est en me magnant que j’ai pété les bouteilles sur le bord des marches. Je sais pas comment elle a su que c’était moi, j’étais monté deux étages plus haut pour brouiller la piste. J’allais pas lui tracer une ligne de vin jusqu’à ma porte.

Salope, est-ce-que je regarde moi la journée ce tu picoles ?

Y a pas d’issue ! Faut pas que je bouge et je vais faire comme si de rien n’était. Je vais me remettre à jouer, peut-être qu’ils partiront si je ne fais pas attention à eux, je vais reprendre ma partie. J’en étais où ? Je sais que j’avais pas fini, il restait encore pas mal de pions bouteilles. Merde où sont les bouteilles vides ? elles étaient sur les carreaux blancs puisque les pleines les attaquaient et elles avaient l’avantage. J’ai dû tout virer, c’est quand je suis tombé. Ouais, ça me revient, j’avais presque capturé la reine des blancs quand je suis parti en arrière. Il y a eu un bruit de verres cassés, après je sais plus, tiens, à mes pieds, on dirait des bouteilles qui ont roulées.

— C’est comme du sang sur les carreaux, il y a plus de bruit dehors, il n’y a plus la bête, j’ai peur qu’elle revienne.

J’ai froid, j’ai chaud, j’ai des sueurs au front, si je bois maintenant, je vais vider la bouteille et après j’ai plus rien.

Et alors ? Merde, ça changera rien, de toute façon il n’y en aura jamais assez pour que je puisse sortir sans trembler et aller me ravitailler. Mais qu’est-ce que j’ai fait des autres litres, je les ai rentrés ici pourtant, je les ai certainement pas laissés dans la cuisine. Pour qu’on me les pique, surtout dans le couloir je fais gaffe, c’est pas sûr. La nuit il y a du passage, y en a qui s’infiltrent du mur, je suis pas fou, j’entends bien.

Qu’est-ce-que je fais ? Je peux pas sortir, J’ai peur, ils doivent tous être planqués dans le couloir derrière la porte, ou alors, ils m’attendent dans l’escalier. C’est ça, ils sont sur le palier, comment ils savaient que j’étais là. C’est la voisine d’à côté, je l’entends bien son téléphone, elle est en relation avec eux.

Des jours et des nuits que je n’allume plus la lumière, ils ne peuvent pas m’avoir vu. Je sors des chiottes que pour acheter les litres et encore, je surveille qu’il n’y  ai personne dans l’escalier ; il y a pas de fenêtre, ils ne peuvent pas savoir que je suis là.

Il faut que boive un coup, je tiens plus, je tremble de plus en plus, des mains, de partout. Je vais jamais arriver à attraper la bouteille, j’ai le front trempé. Je peux y arriver en tenant mon bras, il faut que je le guide, peut-être comme ça, je vais arriver à prendre le litre. Je sue trop, je glisse dans ma peau, je tremble, j’ai froid, je suis trempé.

La bête est revenue, elle est dressée, je suis sûr, elle m’observe, elle va m’attaquer.

Je veux crier, mais sans faire de bruit, il faut pas qu’ils sachent que je suis là. J’ai envie d’hurler,  mais je sais pas, je peux pas. J’en suis sûr, ils sont là, je le sens, tous regroupés derrière la porte, et au dessus. La bête a bougée, c’est eux qui l’ont amenée, ils l’ont glissée sous la porte. je vais me cacher, rentrer dans la chasse d’eau, où derrière, où là dans la cuvette des chiottes et fermer le couvercle. Ou alors sortir, partir, j’ai plus d’alcool, je vais pas y arriver. Ils m’en veulent, j’ai rien fait, c’est tous des pourris, des salauds, ils veulent ma peau.

Ca y est je tiens la bouteille, boire, boire… je tremble, ça dégouline, ça coule dans mon cou, partout ; il en rentre quand même un peu, je sens un peu de chaleur, mais je suis vide, j’en aurai jamais assez pour tenir le coup. J’arrive plus à lever le bras, ma tête est raide, le cou, elle tombe, la bête me regarde, elle va sauter, m’attraper, je vais hurler, je peux pas ; le feu, je vais tout brûler, elle avec…

Jean-Pierre (tous droits réservés)